



Huile de palme, Bisphénol A, paraben : ces produits qui les remplacent et qui sont aussi dangereux
Atlantico : La taxe sur l'huile de palme, adoptée la semaine dernière par la France, devrait forcer les industriels à utiliser d'autres produits, supposés moins gras. En parallèle l'industrie du plastique entre dans une grande refonte de ses méthodes de production. Jean René Buisson, Président de l'Association nationale des industries alimentaires, déclarait à ce sujet : "notre grande inquiétude, c'est de commercialiser un produit sur lequel on a moins de recul [...] et qui pourrait être moins sûr que les produits actuels". Le milieu industriel contrôle t-il vraiment ces nouveaux éléments ?
Charles Pernin : Pour ce qui est du Bisphénol A, il s’agit d’un élément qui couvre un spectre extrêmement large de produits (bouteilles de boissons, emballages, bonbonnes de gaz…) ce qui laisse penser qu’il n’y aura pas qu’un seul substitut facilement analysable et identifiable, mais toute une myriade de nouveaux composants qui ne feront pas l’objet d’une attention scientifique très poussée. On peut ainsi s’inquiéter de se retrouver d’ici quelques mois avec des produits tout aussi dangereux ; et il faudra être extrêmement vigilant sur les expertises qui détermineront leur choix. Cela pose un problème de veille scientifique, car la plupart des études prendront un temps extrêmement long avant d’être achevées, alors que pendant ce temps les fameux produits de substitutions auront été commercialisés de longue date.
Quels produits pourraient remplacer aujourd'hui l'huile de palme et le bisphénol A, et sont-ils sûrs ?
Charles Pernin : Tout d’abord, pour ce qui est de l’huile de palme, on trouve en effet d’autres matières grasses assez proches dans leur utilité, ces dernières permettant d’ajouter une texture croustillante, ou moelleuse. Le candidat le plus crédible à cette heure pour remplacer l’huile de palme serait l’huile de coprah, qui est issue de la noix de coco, dont le prix serait bien plus attractif, ce produit étant moins cher et moins taxé. Ce composant est aussi particulièrement riche en acide gras saturées, ce qui laisse envisager qu’on ne fait actuellement aucun progrès en terme de santé nutritionnelle avec cette taxe sur l’huile de palme. Les industriels se penchent aussi sur d’autres huiles (tournesol, arachides, colza…), initialement moins grasses, mais qui seront modifiées par ce que l’on appelle le principe d’hydrogénation qui renforce la teneur de ces mêmes acides gras pour atteindre une proportion plus ou moins équivalente à celle que l’on obtient aujourd’hui avec l’huile de palme.
Le remplacement du Bisphénol A fait aussi l’objet de polémiques : des listes de substituts ont ainsi été établies par l’ANSES (Association nationale de sécurité sanitaire, NDLR), et une bonne partie d’entre eux sont considérés comme réglementaires, bien que l’on ait effectivement peu de « recul », pour reprendre l’expression de M. Buisson, pour juger les éventuels effets à long terme de tels produits, notamment sur le plan des perturbations endocriniennes. Ainsi on oublie de dire qu’il y a d’autres types de Bisphénol (notamment le Bisphénol S) que l’on envisage dans ces listes de remplacement mais dont l’on ne connait pas vraiment les éventuels effets pervers. D’aucuns ont aussi évoqué la création d’un Bisphénol A durable, ce qui m’apparaît extrêmement douteux lorsque l’on sait que le principe de durabilité se combine à celui de santé.
Myriam Cohen : L’interdiction pose tout d'abord le problème de la faisabilité technique sur le plan de la substitution. Si on n'intégrait pas de conservateurs dans les divers produits cosmétiques, la formule deviendrait vite (parfois en quelques jours) un véritable bouillon de culture où se développeraient des bactéries parfois très pathogènes et dangereuses pour la santé humaine. Assurer la conservation d'un produit est indispensable, il en va de la responsabilité de son fabricant et de la sécurité de son utilisateur. La recherche n'a hélas pas abouti aujourd'hui à des alternatives utilisables à grande échelle, et beaucoup de conservateurs de substitution peuvent être allergisants ou irritants, tels que :
- l’alcool benzylique (substance allergène)
- l’acide sorbique
- l’acide benzoïque
- l’acide salicylique
- l’acide déhydroacétique (DHA)
- l’alcool
Il faut préciser que pour une bonne partie de ces produits, les effets secondaires ne sont pas tous connus.
De même, des conservateurs dits « naturels » tels que les huiles essentielles, bactériostatiques et/ou antifongiques, peuvent aussi être allergisants. Parfois photo-sensibilisantes et généralement contre-indiquées chez les femmes enceintes, allaitantes ou chez les jeunes enfants. La quête du substitut idéal se poursuit mais est pour l'instant loin d'être achevée.
Ces taxes sur les produits dangereux, partant d'une bonne intention, ne semblent donc pas efficaces. Quelles méthodes de transitions pourraient s'avérer plus performantes ?
Charles Pernin : L’argument de l’instauration d’une taxe dans le but de protéger la santé publique me laisse personnellement sceptique. Je ne vois pas en effet comment l’on pourrait, au moyen de quelques mesures ponctuelles ciblant un seul ingrédient, faire d’un évoluer les consciences et assainir de manière concrète la constitution des aliments et emballages du quotidien. Il faut pour cela envisager une démarche globale, cohérente, et qui ne soit pas gérée de manière émotionnelle comme cela fût le cas avec le Bisphénol A.
Pour revenir à l’analyse des risques potentiels liés à ces nouveaux éléments, il faut rappeler qu’il existe de nombreuses agences d’expertises largement qualifiées pour définir les éventuels effets de chaque composant, et leur seul problème est le temps de publication de leur rapport. On pourrait ainsi envisager que la commercialisation des futurs produits ne se fasse que lorsqu’une analyse complète et plurielle a été menée, ce qui n’est hélas pas le cas aujourd’hui.
Myriam Cohen : Il faudrait en premier lieu réfléchir sur la notion de principe de précaution qui peut résulter d’une croyance en un danger et en l'urgence d'une action précoce mais provisoire, sans base scientifique reconnue, appelant à une recherche pour évaluer scientifiquement le risque. Par exemple, les études scientifiques recensées sur les parabènes utilisés en cosmétique n’en confirment pas les dangers, il n’existe pas d’évidence pour démontrer un lien de causalité entre la pénétration des parabènes par voie cutanée et le cancer du sein. C’est donc par précaution ou dans le doute que beaucoup de personnes préfèrent ne pas utiliser de produit en contenant. Il y a donc un seuil de dangerosité que les gens ne sont pas toujours prêts à franchir, cela dépendant de leurs habitudes de consommations.
Sur un plan plus technique, on voit aujourd'hui se développer la conservation par moyen physique, qui apparaît comme une alternative intéressante : la crème est conditionnée de façon stérile dans un packaging technique l’isolant de tout contact avec l’air et des doigts de l’utilisatrice. C'est le cas par exemple des flacons "airless".