



Communication du gouvernement : cache-sexe de son incompétence à résoudre la crise du coronavirus
Atlantico.fr : Pouvez-vous nous résumer - et nous expliquer - la communication du chef de l'Etat de ces dernières heures ? Est-elle efficace ?
Arnaud Benedetti : Le problème de la communication est annexe . On comprend qu’elle ne parvient pas à dissimuler le défaut de réactivité et la pénurie sanitaire . Cette communication respire les hésitations , les contradictions , le bras peu assuré mais aussi du fait du retard pris à l’allumage la nécessité de s’adapter à l’épreuve de l’épidémie tout en tenant compte de la sensibilité nationale des ... " gaulois réfractaires " . Le chef de l’Etat ne parvient pas à se départir de ce ton professoral d’une part , surjoué parfois dans le domaine empathique . Le Premier ministre de son côté s’efforce de développer un discours de proximité et de pédagogie comme si le ton se voulait moins " injonctif ", intériorisant le risque que fait encourir à la société la durée du confinement . Un sondage néanmoins ( Harris-Epoka) a observé un rebond de la confiance de 13 points dans la côte du Chef de l’Etat . C’est sensible mais peu spectaculaire . Cet " effet drapeau " bien connu des politistes ,quand il s’agit d’analyser le rapport de l’opinion dans des pays confrontés à la guerre ou à la menace terroriste , reste peu spectaculaire comme le rappelle Bruno Cautres, chercheur du CEVIPOF , dans un entretien accordé à la revue politique et parlementaire ( www.revuepolitique.fr) . Pour mémoire François Hollande , après les attentats de "Charlie Hebdo" , avait connu un bond de plus de 20% avant que la courbe ne décline à nouveau .
Les politiques publiques suivent-elles les discours énoncés par le Président de la République ? Est-ce de la rhétorique pure ?
C’est le " fond du problème " . Les mots , énergiques , mobilisateurs , dramatiques , volontaristes , martiaux se dissolvent dans une réponse publique qui contraint beaucoup les français ( limitation sans précédent des libertés publiques depuis 70 ans , coût économique ) sans leur offrir le service consenti par ce sacrifice . Ce que révèle de manière criante ce drame sanitaire , c’est aussi l’humiliation d’un grand pays : le manque de masques , l’offre insuffisante de tests , les moyens déclinants de l’Hôpital public , etc. Il convient de ne jamais oublier que le système de soins dans la pratique et dans les représentations constitue une brique fondatrice de la reconstruction du pacte républicain depuis l’après-guerre . Avec effroi les françaises et les français découvrent que les comptables de Bercy ont mis à mal depuis des années cet acquis ! La communication est dés lors perçue comme l’aveu tragique d’un déclin programmé par des logiques managériales . L’incantatoire ( le discours guerrier ) et le coercitif ( suspension de la liberté de circulation et de réunion ) sont des lors des dépôts de la liquidation tant de l’Etat-providence que de l’Etat de droit . Nous vivons de ce point de vue un choc copernicien qu’aucune communication ne peut amortir .
Avec un nombre de morts qui ne fait que grimper dans le pays, Emmanuel Macron a décidé de se tourner vers des philosophes et des représentants religieux pour parler du "deuil". Est-ce une mise en scène ? Pourquoi faire ce choix-là ? Que veut-il montrer ou dire à la population ?
La coquetterie "intellectuellisante" est un peu à contre-emploi , voire hors-sol. Le Président veut sans doute insister sur la dimension tragique à laquelle est confrontée son mandat . Cette relation à la profondeur vise à le graver dans le marbre d’une certaine forme d’héroïsme . Cette geste a quelque chose pourtant d’artificiel , de " dénaturalisée " . Le Président relance ici le mythe de l’ " assistant de Ricoeur ", l’inquiétude pour l’altérité . Est-ce que cela parle au français confiné ? Pas sûr ! La parole dominante aujourd’hui est celle des soignants . Ils ont pris dans le moment , parce qu’ils sont sur la ligne de front , le leadership dans la fabrication de l’opinion . Le désarmement auquel les pouvoirs publics les ont soumis ne favorise pas l’incubation de la confiance dans l’exécutif , à fortiori si la crise s’inscrit dans la durée . Pour le pouvoir la course de vitesse contre le virus est une course de vitesse pour sa survie . S’en donne t’il les moyens ? Les heures et les jours qui viennent nous le diront .