



Quand le parti conservateur britannique redevient un parti de droite
Hughenden,
Je vous écris de le campagne anglaise. Ma circonscription est en pleine effervescence. Dominic Grieve en est le député depuis plus de vingt ans. Mais il a été exclu du parti, comme vous le savez, lorsqu’il a voté contre Boris Johnson. Et c’est une Brexiteer déterminée qui porte désormais les couleurs du parti conservateur: Joy Morrissey. Je me suis réconcilié avec Boris le jour où il a exclu Dominic Grieve du parti: je ne pouvais plus supporter que la circonscription de Beaconsfield, qui porte le nom de Benjamin l’Ancien, porte les couleurs du Remain. Bien entendu, le vote s’annonce passionnant à suivre: il faudra beaucoup d’énergie à Joy pour déboulonner le député installé depuis 1997.
Pourtant, je crois que nous allons assister ici comme dans le reste du pays à un clair déplacement des voix sur le thème « Get Brexit Done ». Les sondages, pour l’instant, ne sont pas clairs: l’écart de points entre les travaillistes et les conservateurs est, selon les instituts, entre 7 et 15 points. Jeremy Corbyn compte sur le fait que les Remainers voteront utiles et donc Labour plutôt que LibDem. Boris retrouve le génie de ses campagnes londoniennes: il est cette fois d’une prudence de Sioux. Il ne cesse de répéter que tout ce qu’il veut, c’est une dizaine de députés en plus, la majorité absolue pour les conservateurs, pas plus. J’ai pourtant le sentiment que la victoire sera bien plus large que ce que disent les sondages les plus prudents. Nous allons y être aidés par la sage décision de Nigel Farage de ne pas présenter de candidats face aux conservateurs sortants et de retirer un certain nombre de candidats de circonscriptions qui peuvent être gagnées face à des travaillistes. Le Brexit Party ne présentera que 274 candidats. Nigel a pris une décision qui lui a coûté mais qui lui garantit l’entrée dans l’histoire: sans sa persévérance, le Brexit n’aurait pas eu lieu.
Allons-nous assister à la réaffirmation des deux partis qui structurent la vie politique britannique depuis les années 1920? Pour ma part, je ne suis pas sûr que les travaillistes se maintiendront aussi bien que ce que prédisent les sondages. S’ils le font, ce sera au prix d’une « blairisation » définitive: ils seront devenus un parti des Anywheres, installés dans l’Angleterre du Sud, perdant leurs bastions du Nord ainsi que le Pays de Galles. Les conservateurs, eux, sortiront de l’ère Thatcher pour se réinstaller dans l’Angleterre des classes moyennes et populaires. Un Disraëli ne peut que saluer ce glissement ! Il permettra, surtout, d’absorber le Brexit Party.
Je crois donc, mon cher ami, que c’est un véritable tremblement de terre qui se prépare, derrière la prudence des sondages. Oh! La victoire de Boris sera large, sans être écrasante. Je pense qu’il obtiendra environ 340 députés, une quinzaine de plus que la majorité absolue. Mais ce sera une majorité fondée sur le choix clair du retour au « One Nation Conservatism », pas simplement un slogan, une réalité, cette fois. Ce sera bien entendu seulement le début du redressement de notre pays. Boris lui-même se trouvera souvent dans une position délicate, obligé d’aller bien plus à droite que ce que ses convictions lui dictent. Il viendra un moment, une fois le Brexit réalisé, où le pays se trouvera confronté aux difficultés de la société multiculturelle; où il faudra aborder des questions de bioéthique majeures. Boris est clairement à gauche, instinctivement, sur ces sujets. Mais il sera trop politique pour ne pas s’adapter. Et puis, le nouveau parti conservateur qu’il fait émerger, le portera beaucoup plus loin qu’il n’imagine.
Le parti qui avait chassé Margaret Thatcher du pouvoir s’était dangereusement orienté vers le blairisme. Le même parti, ramené par Boris Johnson au « One Nation Conservatism » devra se demander s’il n’aurait pas dû écouter, voici cinquante ans, Enoch Powell.
Je vous envoie mes amitiés fidèles
Benjamin Disraëli