



Le consommateur français est-il condamné aux cerises d’importation (et aux pesticides) ?
A lire sur ce sujet sur WikiAgri la tribune signée Jérôme Mazely, arboriculteur des Bouches-du-Rhône, qui livre un témoignage poignant et une analyse fine de sa situation sur le terrain.
Le temps des cerises est en train de verser dans une nostalgie bien réelle. La production de cerises en France vient de connaître de bien tristes nouvelles, annonciatrices (si la tendance reste en l’état) ni plus ni moins de la fin de la production en France. Et ces nouvelles sont d’abord des choix politiques délibérés du gouvernement français.
Reprenons l’histoire qui précède l’arrivée du gouvernement actuel. Depuis plusieurs années, les vergers français doivent faire face à l’invasion d’un insecte venu d’Asie, le drosophile Suzukii. Ce ravageur venu d’Asie cause de grands dégâts sur les cerises. Une solution phytosanitaire est mise au point, le diméthoate. Mais voilà, ce produit pesticide est suspecté d’être nocif et est retiré du marché français courant 2016 (je passe sur le débat « est-il vraiment nocif ? », ce n’est pas le propos du jour). Depuis, nos producteurs de cerises doivent composer avec des solutions alternatives (autres molécules autorisées celles-là mais moins efficaces, pose de filets anti insectes nécessitant des investissements matériels importants…) qui donnent de moins bons résultats, donc avec augmentation du prix de vente pour rentrer dans leurs frais.
Ainsi, l’augmentation du coût de revient pour le producteur au nom de la santé alimentaire et environnementale doit logiquement être compensée avec les discussions sur le partage de la valeur ajoutée des états généraux de l’alimentation, et sur la loi qui a suivi… De plus, il existe une clause de sauvegarde, reconduite année après année, qui interdit la mise sur le marché français de cerises d’importation produites avec du diméthoate.
Or, que s’est-il passé récemment, sous l’actuel gouvernement ? Le 5 mai 2018, la France a ouvert ses frontières douanières aux cerises fraiches venues de Turquie, premier producteur mondial, et utilisateur de diméthoate. Le ministre français de l’Agriculture Stéphane Travert a eu beau évoquer, à l’Assemblée, des contrôles à l’arrivée sur le sol français pour vérifier la non utilisation de diméthoate, personne n’est dupe : la Turquie produit 800 000 tonnes de cerises par an (soit 20 fois plus que la France, source Coordination rurale) et ne s’embarrasse pas vraiment de contingences environnementales. Elle a perdu le marché russe (elle aussi a subi un embargo, pour d’autres raisons que la France, début 2016) et doit trouver des débouchés pour ses producteurs. Chez les producteurs de cerises français, on signale qu’il est tout à fait possible de tromper les contrôles en « lavant » les cerises, juste avant leur départ de Turquie. En d’autres termes, les seuls contrôles efficaces ne peuvent avoir lieu que sur place, au niveau des cultures (comme c’est le cas en France), et de cela il n’est pas question.
Dans une tribune qu’il signe sur WikiAgri, l’arboriculteur des Bouches-du-Rhône Jérôme Mazely estime que cet accord est un geste de gratitude envers le gouvernement turc pour son action pour les migrants. Question : pourquoi les producteurs mais aussi les consommateurs français (trompés sur la marchandise) devraient-ils payer cette note « diplomatique » ?
Par ailleurs, autre témoignage, une vidéo sur le compte Facebook de Aurélien Esprit, producteur de cerises dans la Drôme : il montre qu’il jette 250 kilos de cerises au fossé car il ne parvient pas à les vendre aux grandes surfaces au-dessus de son coût de revient (il cite le chiffre de 2,50 € le kilo), alors que les cerises sont présentées sur les étals à près de 9 € (selon son témoignage, nous n’avons pas vérifié). Cette vidéo fait un buzz invraisemblable, avec des commentaires aux directions multiples, outrés tantôt par l’ampleur de la marge de la grande surface, tantôt par l’action consistant à jeter de la nourriture. Sans entrer dans ce dernier débat sur le choix du mode d’action, un constat : la régulation des rapports entre fournisseurs agricoles et grandes surfaces, qui devait avoir lieu avec les travaux des états généraux de l’alimentation, n’est toujours pas opérante aujourd’hui, malgré une forte communication gouvernementale sur son succès.
A l’arrivée, on se retrouve dans la situation suivante : les producteurs français de cerises, dont le coût de revient a augmenté pour respecter les consignes et les choix nationaux environnementaux, se retrouvent en concurrence directe avec des produits visiblement identiques, mais venant d’un pays qui n’a pas ce coût environnemental, ni le coût humain en termes de main-d’œuvre saisonnière d’ailleurs. Ils ne devraient pas pouvoir tenir cette situation très longtemps… Le consommateur français, de son côté, n’a plus que l’étiquetage des fruits au moment de l’achat pour poursuivre sa vocation de bien-être environnemental, mais il devra payer plus cher, tout en sachant que, ce faisant, ce n’est pas forcément le producteur qu’il rémunère…
Pour comprendre ce qui ne va pas aujourd’hui dans l’agriculture française, le cas de la cerise est édifiant !