



Finalement Gallimard va rééditer les pamphlets antisémites de Céline ! Une bonne nouvelle ? Faut voir…
L'affaire commence en janvier avec toutes les allures d'une tragédie grecque. Elle se finit (?) en mars sous la forme d'une pitoyable bouffonnerie. Pour comprendre un retour en arrière s'impose. Les deux premiers pamphlets –Bagatelles pour un massacre, L'Ecole des cadavres- ont été publiés avant la guerre. Le troisième –Les Beaux Draps- en 1941 avec les applaudissements de la propagandastaffel nazie.
En 1944 Céline suit les débris du gouvernement de Vichy à Sigmaringen. Puis il passe quelque temps au Danemark, histoire de s'assurer que s'il rentre en France il ne sera pas mis sous les verrous. De retour à Paris il interdit la republication de ses pamphlets. Car cet esprit malade avait des éclairs de lucidité : il ne voulait pas d'ennuis avec les "youtres" (pour parler comme lui) qui avaient "gagné la guerre"… Lucette Destouches sa compagne et exécutrice testamentaire veilla scrupuleusement à ce que les vœux du défunt soient respectés.
Premier acte. Antoine Gallimard se rend chez Lucette Destouches (âgée de plus de 100 ans!) et obtient d'elle la signature libératrice qui permettra la réédition de ses pamphlets aussi abjects que peu talentueux. En janvier il annonce que Bagatelles pour un massacre, l'Ecole des cadavres et Les Beaux Draps vont être réédités par ses soins. Une édition "critique" et préfacée par Pierre Assouline, caution nécessaire pour contrer les accusations d'antisémitisme.
Deuxième acte. Agitation intense dans le landernau parisien. Tout le monde s'enflamme autour de l'affaire Céline qui devient l'affaire Gallimard. La LICRA s'indigne, Serge Klarsfeld proteste. Ils ont tort : la puanteur qui se dégage des pamphlets céliniens est, à notre avis, un formidable antidote contre l'antisémitisme.
Troisième acte. Françoise Nyssen, ministre de la Culture, convoque Antoine Gallimard et Pierre Assouline. Elle leur demande de renoncer au projet qui créerait, selon elle, un grave trouble dans l'opinion. Antoine Gallimard baisse la tête. Et fait savoir que "les temps ne sont pas mûrs" pour cette réédition.
Quatrième acte. Revirement d'Antoine Gallimard. Dans un entretien au Journal Du Dimanche il annonce qu'il va finalement rééditer les pamphlets. En janvier "les temps n'étaient pas mûrs". En mars ils le sont devenus. Les temps mûrissent vite…
Dans son interview Antoine Gallimard dit répondre à une "exigence de vérité". Le métier d'éditeur a aussi d'autres exigences. La plus vitale étant de vendre un maximum de livres. Et de ce côté-là c'est gagné! La polémique autour de Céline –habilement entretenue par Gallimard- a fait le nécessaire. Mieux que n'importe quelle campagne de promotion. De ce point de vue-là Antoine Gallimard est un excellent éditeur…