



L’anonymat du don de sperme contesté devant la justice… et toutes les autres questions délicates que soulève la PMA
Atlantico : Le Conseil d'Etat devrait examiner mercredi 21 octobre la requête d'une avocate de 35 ans, conçue par insémination artificielle, et qui cherche à obtenir des informations sur son père biologique. D'après la requérante, la loi viole l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme sur le "droit au respect de la vie privée et familiale". Dans quelle mesure aujourd’hui l'anonymat du don inscrit dans la loi se heurte à la position de la CEDH qui a mis en avant "l'intérêt vital" quant à la connaissance de sa filiation ?
Jean-René Binet : Le droit français consacre une règle d’anonymat absolu en cas de recours à un don de gamtète. A l’échelle internationale, il s’agit d’une solution isolée : la plupart des États qui admettent le recours à un tiers donneur prévoient, au minimum, un accès aux données non identifiantes et, la plupart du temps, un accès à l'identité du donneur. De plus, plusieurs États qui, à l'instar de la France, avaient opté pour la règle du secret y ont récemment renoncé, comme en témoignent les réformes accomplies aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Suède et en Suisse. On ne voit pas comment une telle évolution pourrait ne pas conduire la Cour européenne des droits de l’homme, si elle était saisie du problème, à ne pas sanctionner la France.
Dans le cas d'une fin d'anonymat, le risque n'est-il pas la fin du don de spermatozoïdes et donc de la PMA ?
C’est cette crainte qui a conduit à la consécration de la règle de l’anonymat en 1994 et à son maintien lors de la révision de la loi de bioéthique en 2011. Le projet de loi prévoyait en effet que les enfants nés à la suite d'un don de gamètes pourraient, s'ils en exprimaient le souhait après leur majorité, accéder à certaines informations non-identifiantes : l'âge du donneur, son état de santé, ses caractéristiques physiques, sa situation familiale et sa catégorie socioprofessionnelle, sa nationalité et, plus important peut-être, les motivations de son don. De plus, le projet prévoyait un accès à l'identité du donneur, à la condition que celui-ci, informé de la demande, y consente. Ce projet, équilibré, répondait parfaitement au problème posé par la demanderesse dans l’affaire que jugera le Conseil d’Etat. Fallait-il craindre le tarissement des dons de sperme ? Peut-être pas car on observe que dans les pays qui ont abandonné la règle de l’anonymat, les dons n’ont pas cessé. Cette crainte semble donc excessive.
En toile de fond, le mythe d'Oedipe et donc la question de la consanguinité. Cette crainte est-elle fondée ?
La loi limite le nombre d’enfants nés d’un même don de sperme à dix. Ces enfants étant conçus autour d’un même établissement, les risques de consanguinité existent, à l’évidence. Cependant, pour savoir si ces risques sont importants, la question mériterait certainement d’être posée à un statisticien plus qu’à un juriste.
Quels sont les différents enjeux actuellement sur la PMA en matière de technologies et de situations ?
Les enjeux sont multiples. Pour ne pas risquer de passer à côté des problèmes fondamentaux, il me semble essentiel qu’en la matière la loi ne perde jamais de vue l’intérêt de l’enfant. Il me semble dès lors indispensable que la loi maintienne la fiction structurante qui charpente le droit de l’assistance médicale à la procréation : dans la mesure du possible, faire comme si l'enfant avait été conçu sans assistance médicale et, surtout, lui permettre d'y croire ou de prétendre y croire. Pour y parvenir, il est alors indispensable d’éviter les situations trop complexes. C'est la raison pour laquelle la gestation pour autrui, la procréation post-mortem ou dans les couples de même sexe sont interdites. L’affaire soumise au Conseil d’Etat illustre combien il est périlleux de créer des situations complexes en n’envisageant l’admissibilité des techniques qu’à l’aune de l’intérêt des adultes. Lorsque le recours au don de gamètes a été autorisé, tout à été fait pour garantir que le donneur ne serait jamais personnellement impliqué dans la vie de l’enfant à naître. Cependant, cette affaire et quelques autres démontrent que l’enfant né du don peut ressentir le besoin de savoir d’où il vient. C’est une demande que le droit ne peut plus feindre d’ignorer.
Aujourd'hui, qui définit les limites éthiques en matière de PMA ?
Les questions éthiques sont du ressort du Comité consultatif national d’éthique. Mais en la matière, l’éthique n’est pas suffisante car les questions de filiation relèvent du domaine de la loi. Le législateur doit assumer ses responsabilités.